Gestion de crise et culture d’entreprise

La culture d’entreprise a une importance fondamentale dans la capacité de chaque organisation à faire face à la catastrophe économique et sanitaire actuelle. Quels atouts a la vôtre, et que serait-il urgent de questionner?

par
Jean-Marc Phelippeau
|
28
April
2020
Management

Certaines entreprises sont en ce moment en train de se réinventer en un temps record, quand d’autres semblent entrées en hibernation depuis la mise en place du confinement.

La culture d’entreprise a une importance fondamentale dans la capacité de chaque organisation à faire face à la catastrophe économique et sanitaire actuelle. Quels atouts a la vôtre, et que serait-il urgent de questionner?

Les décisions et comportements des dirigeants et managers durant la crise actuelle laisseront des traces durables, bien au-delà de celle-ci. Comme dans toute phase de crise, dans un même secteur d’activité, certaines entreprises vont survivre et même rapidement prospérer, pendant que d’autres disparaitront. Certaines vont voir leur attractivité baisser, d’autres augmenter.

Tout ceci en partie en raison de leurs cultures respectives, c’est-à-dire de leurs croyances (incluant mythe fondateur, raison d’être et autres modèles mentaux), de leurs valeurs et des comportements qui en découlent, qui vont déterminer leur manière d’affronter cette situation inédite. Voici trois exemples.

« Business first » ou « people first »?

C’est dans les temps difficiles que se dévoilent et s’incarnent les véritables valeurs d’une entreprise, d’un coup débarrassées des oripeaux souvent trompeurs de la communication «corporate». Les masques tombent, sans mauvais jeu de mots.

Votre entreprise a t-elle fait passer la sécurité des salariés devant rester sur site avant la poursuite de l’activité, comme dans la plupart des groupes de BTP (au point de s’attirer les foudres gouvernementales), ou bien les dirigeants ont-ils voulu poursuivre l’activité coûte que coûte?

Pour les salariés mis en « télétravail » (dans des situations parfois difficiles), les managers ont-ils veillé à adapter leur organisation aux contraintes spécifiques de leurs collaborateurs, à apporter du soutien au quotidien et à entretenir liens et sentiment d’appartenance ?

Culture entrepreneuriale ou culture de la « compliance »?

Philippe Silberzahn (1) a identifié cinq principes associés à une culture entrepreneuriale (les cinq principes de l’ « effectuation » ) :

• tirer partie des surprises (en ce moment on est servi, et chaque jour)

• créer le contexte, ne pas le subir, être dans une posture d’action

• faire avec ce qu’on a sous la main : j’ai une usine textile, donc je peux fabriquer des masques; je regarde ce que j’ai dans le frigo et à partir de là je vais inventer une recette…

• co-construire l’action avec les autres, avec son écosystème (collaborateurs, partenaires, fournisseurs…)

• agir dans une logique de perte acceptable (« au pire si ça ne marche pas, je perds ceci »), en risque contrôlé.

C’est une telle culture qui permet l’agilité et l’aisance dans l’incertitude.

A l’inverse, une culture de « compliance » ou de respect des descriptions de postes et des processus habituels, quand bien même ceux-ci ont été rendus obsolètes par les évènements, va entraver cette agilité. Bref, gare à la bureaucratie!

Selon leur degré culturel d’aversion au risque, différentes entreprises vont envisager ces temps-ci différents types de scénarios pour l’avenir (emprunt, chômage partiel, plan social ou non…).

« Alignement » ou « empowerment »?

La culture de votre entreprise est-elle pyramide, matrice ou réseau?

Compte tenu du contexte, faut-il aujourd’hui davantage centraliser ou bien décentraliser?

Oser la confiance et autonomiser filiales et business units ou au contraire être très directif, « aligner » et contrôler tout le monde?

Trop de décentralisation peut entrainer un saupoudrage néfaste des ressources de l’entreprise et une entropie excessive.

A l’inverse, un excès de centralisation va par exemple conduire à appliquer partout les mêmes mesures quelles que soient les réalités locales. Ainsi, dans la famille « organisation centralisée à distance hiérarchique élevée », nous avons par exemple la France: à l’heure où j’écris, la sortie du « confinement » y est prévue le même jour pour tous les départements, dans le Val-de-Marne (taux d’hospitalisation pour COVID: 1,38 ‰) comme en Charente (où ce taux est de 0,03 ‰ …). (2)

L’heure est plutôt à la confiance et à l’ « empowerment », le télétravail forcé ayant de toute façon déjà amené bien des fanatiques du contrôle et du présentéisme à revisiter leurs croyances.

C’est maintenant qu’il faut prendre du recul !

« Crises tend to be over-managed and under led », pouvait-on lire récemment dans la Harvard Business Review.

L’un des pièges de la situation présente, pour un dirigeant, est de tomber dans l’agitation, dans une sur-activité exclusivement centrée sur les urgences et les problématiques opérationnelles immédiates (et c’est vrai qu’il n’en manque pas!). Au risque de ne pas suffisamment repenser vision et scénarios stratégiques.

Votre culture d’entreprise est-elle naturellement orientée court-terme ou bien long terme? Quel pourcentage de votre temps consacrez-vous ces jours-ci à envisager un horizon au-delà de l’été 2020?

Comment vous définissez-vous? La raison d’être actuelle de votre entreprise est-elle trop précise ou bien au contraire suffisamment large, ce qui rendra plus facile une éventuelle ré-orientation stratégique?

Il nous semble qu’en ce moment garder au moins 20 % de son temps pour penser le post-COVID est une règle d’hygiène salutaire pour les dirigeants, afin de ne pas faire de la navigation à vue leur nouveau style de leadership!



(1) Philippe Silberzahn, « Effectuation, Les principes de l’entrepreneuriat pour tous », Pearson, 2014.

(2) Source : Le Monde, chiffres au 27 avril 2020.