Conflits entre associés: 6 pistes pour les surmonter

Que ce soit dans une start-up ou une PME, tensions et conflits entre associés (fondateurs ou non) constituent des moments classiques de la vie d’une société, notamment dans les phases de croissance, de crise ou de succession.

par
Jean-Marc Phelippeau
|
30
January
2018
Entrepreneuriat

Que ce soit dans une start-up ou une PME, tensions et conflits entre associés (fondateurs ou non) constituent des moments classiques de la vie d’une société, notamment dans les phases de croissance, de crise ou de succession. Bien les gérer et les dépasser est une nécessité vitale, faute de quoi ils peuvent menacer la performance, le développement voire la pérennité même de l’entreprise.

Une équipe d’associés est une équipe dirigeante particulièrement complexe, où chacun est à la fois dirigeant et actionnaire, et où s’entrecroisent des liens et des logiques capitalistiques, organisationnelles, amicales et parfois familiales. L’investissement de chacun dans l’entreprise y est non seulement professionnel, mais aussi financier et généralement très émotionnel.

Rancoeurs non (ou mal) exprimées, sentiments d’injustice, différences de styles et de méthodes de travail, désaccords sur la stratégie, priorités personnelles divergentes, angoisses et jeux de pouvoir… Les causes de tensions au sein d’une équipe d’associés sont multiples, et les enjeux élevés. En cas de crise plus grave, se séparer d’un associé est plus compliqué et douloureux que de remercier un « simple » dirigeant salarié.

Voici quelques principes, « mesures d’hygiène » ou pratiques régulières qui vous aideront à éviter ou surmonter une crise au sein d’une équipe de dirigeants-actionnaires:

1. Prenez les devants! (Ne laissez pas la peur vous guider)

Je suis parfois contacté pour réguler des relations entre associés déjà très dégradées… En la matière, plus on attend, plus le problème sera difficile à résoudre. Lorsqu’une tension survient, la tentation est pourtant parfois grande de la minimiser ou d’éviter d’en parler par peur du conflit.

Alors que… Simplement nommer ce que l’on observe, calmement et de manière factuelle, est déjà un premier pas vers la résolution.

Dédramatisez. Un désaccord est humain et pourra s’avérer précieux à terme. La seule équipe qui ne se dispute jamais est une équipe de clones, qui est la plus dangereuse pour l’entreprise: tout le monde y a les mêmes croyances limitantes, les mêmes angles morts et foncera à un moment donné dans le même mur en chantant. Un désaccord est aussi le signe de la diversité de votre équipe, de vos complémentarités et de vos capacités créatives.

2. Créez des rituels (Parlez-vous régulièrement, et « pour de vrai »)

Le quotidien et l’opérationnel vous engloutissent? Même vos réunions d’associés sont phagocytées par les chiffres et le court terme? Préserver ne serait-ce que vingt minutes par semaine pour prendre des nouvelles de vos associés « en tant qu’êtres humains », et consacrées exclusivement à travailler la qualité des relations au sein de l’équipe, sans autre ordre du jour, est un investissement que vous récupérerez au centuple.

Entretenir la confiance et le lien est une action fondamentale d’hygiène de l’équipe, au service de son énergie, de son efficacité et de sa pérennité. Il s’agit de prendre soin de votre équipe avant toute chose. Elle est aussi importante que votre projet, car c’est elle qui le rend possible.

Idéalement, un créneau à jour, heure et lieu fixe est la plus sûre façon d’ancrer une telle habitude (par exemple: tous les lundis à huit heures trente au café du coin).

3. Mettez un peu d’empathie! (Efforcez-vous de comprendre au lieu de juger)

Vous êtes en colère contre un de vos associés, son comportement vous laisse perplexe, vous agace voire vous choque?

L’équipe dirigeante d’une start-up, par exemple, est souvent composée d’un « serial entrepreneur » qui en est à sa n-ième création d’entreprise, d’un deuxième associé qui a jusqu’à présent fait toute sa carrière au sein de grands groupes, et d’un troisième issu du monde de la recherche universitaire. Ces histoires et parcours différents entrainent logiquement des différences culturelles conséquentes, et des rapports différents à l’argent, au succès, au temps, à la prise de risque ou encore au pouvoir.

La première clé pour faire de ces différences une richesse et non un problème est de s’efforcer, avec bienveillance et humilité, de comprendre l’autre et de ne pas le juger. De rechercher, derrière une façon de faire qui vous exaspère, l’intention positive de votre associé – car il y en a très probablement une: votre associé est peut-être maladroit, anxieux ou inexpérimenté dans certains domaines, mais ce n’est a priori pas un sale type!

Au delà de l’histoire de chacun et comme pour toute équipe de direction, prendre davantage conscience de vos styles respectifs (en termes de préférences comportementales), de leurs atouts et complémentarités, des besoins et « modes d’emploi » de chacun, est une étape clé vers un meilleur fonctionnement collectif. (1)

4. Apprenez à (mieux) exprimer un feedback critique et à formuler vos demandes (Conciliez bienveillance et exigence)

Un feedback critique correctement exprimé à autrui est un véritable cadeau au service de la qualité de votre relation avec cette personne et du bon fonctionnement de l’équipe.

Une formulation en quatre étapes comme préconisé en Communication Non Violente est une manière assez sûre, avec un peu de pratique, d’être entendu et de faire en sorte que vos feedbacks critiques ne seront pas perçus comme agressifs ou vexants, mais bien comme l’humble expression de vos sentiments, besoins et demandes avec, là aussi, une intention positive d’amélioration de l’efficacité de l’équipe et du confort de ses membres.

Au moment juste (quand on n’est plus sous le coup de l’émotion) et avec le tact requis, l’expression d’un feedback est une manière de prendre votre part de responsabilité dans le bon fonctionnement d’une relation, et la première étape pour vous engager sur des ajustements mutuels à opérer vis-à-vis de l’autre.

5. Actualisez et (re)partagez votre vision (Ré-alignez vos ambitions)

A la fois dirigeants et entrepreneurs co-actionnaires, votre vision pour votre entreprise est d’abord le fruit de vos désirs et de vos aspirations personnelles, lesquelles évoluent avec le temps.

Par exemple, des différences d’âge importantes entre associés d’une start-up sont naturellement susceptibles d’entraîner le moment venu des désirs différents en termes d’ambition (développement international, taille souhaitée à terme) et de stratégie de sortie (un associé plus jeune étant généralement plus enclin à souhaiter pérenniser la société, et un associé plus âgé à vouloir la vendre assez vite).

Expliciter et actualiser la vision, (ré)aligner suffisamment vos désirs individuels sur le projet collectif de l’entreprise, et partager son sens pour chacun de vous est un exercice à faire régulièrement, tous les deux à trois ans, de manière plus impérative que pour une équipe dirigeante salariée au sein d’une grande entreprise.

6. Re-visitez la gouvernance (Retrouvez la juste place de chacun)


Etre associés, c’est être co-actionnaires, co-dirigeants, souvent amis (et parfois époux, frères, père et fils…). Une belle complexité où des liens de nature différents s’entrecroisent, et où il est bien difficile de « séparer les variables »: de mêmes êtres humains se retrouvent en Conseil d’Administration, en réunion de comité de direction, dans le quotidien professionnel et dans la vie privée. Nous ne sommes pour la plupart pas clivés, et c’est tant mieux.

La répartition du capital, l’organigramme, l’histoire des relations bilatérales entre associés voire l’arbre généalogique se combinent ainsi pour créer des liens et des rapports de pouvoir au mieux complexes, au pire paradoxaux voire nocifs. Par exemple, lorsque l’entreprise a été fondée par quatre associés dont un couple et un ami d’enfance, avec une répartition inégale du capital et qu’en plus le CEO, arrivé en cours de route, n’est pas celui qui a le plus de parts, il est clair que ce n’est pas l’organigramme à lui seul qui va nous permettre de comprendre comment fonctionne réellement la société…

On ne change certes pas la répartition du capital, un pacte d’actionnaire ou même des statuts en un claquement de doigts. Mais prendre mieux conscience du (dys)fonctionnement de l’équipe par un exercice de feedbacks croisés entre ses membres (cf. point 4 ci-dessus) est une première étape souvent fructueuse pour comprendre et décider ce que chacun devrait arrêter de faire ou commencer à faire. Et actualiser quelques règles simples de gouvernance peut déjà avoir un impact positif important.

Les tensions proviennent souvent d’un écart perçu entre l’organisation officielle telle qu’elle est écrite et l’expérience vécue par chacun au quotidien, écart qui peut être exacerbé en cas de forte croissance ou de crise de l’entreprise (non respect de règles et de prérogatives, absence de sanctions). Elles surviennent plus généralement lorsque la logique capitalistique ou la logique émotionnelle viennent interférer dans des décisions qui devraient être du strict ressort de la logique opérationnelle : par exemple lorsqu’un directeur est nommé ou maintenu à un poste non pour sa compétence, mais parce qu’il a une part importante au capital ou est l’ami du fondateur…

Dans ce cas, une aide extérieure sera souvent nécessaire pour fournir un cadre et procéder à une régulation saine.

(1) Parmi les oppositions de style classiques pouvant occasionner agacements et incompréhensions:

• Introverti vs extraverti,

• Orienté analyse et détail vs orienté synthèse et vision globale,

• Centré sur la tâche vs centré sur la relation,

• Goût pour la structuration vs goût pour l’agilité et l’adaptation,

• Orienté court terme vs long terme…