Le confort à court terme et le romantisme sont généralement mauvais conseillers…
La grande majorité des start-ups ont plusieurs fondateurs (plus de 80% selon certaines études). Créer à plusieurs permet en effet de combiner dès le départ des compétences diverses (techniques, marketing, financières) et d’être moins seul pour affronter les difficultés qui vont immanquablement se présenter.
Parmi ces start-ups « co-fondées », une majorité d’équipes d’associés sont formées de personnes qui se connaissaient auparavant socialement, et non professionnellement. (1)
Créer son entreprise avec un membre de sa famille ou avec un ami de longue date semble à première vue une bonne idée, car la confiance est déjà construite, ce qui est considérable. On connait l’autre (ou on croit le connaitre), avec ses qualités et ses défauts. Cela parait plus facile, confortable et sûr.
L’éléphant au milieu de la pièce
Pourtant, diverses études montrent que les équipes d’associés constituées d’amis ou de membres d’une même famille sont moins stables que les autres. Comment l’expliquer?
Même si les « symptômes » varient, la racine principale des difficultés rencontrées par ce type d’équipes est celle-ci : dans diverses situations, un associé va se retrouver devant un dilemme. Prendre soin de la relation avec son associé ou bien prendre soin du projet entrepreneurial.
Car lorsqu’on a fondé une start-up avec un membre de sa famille ou un ami, préserver la relation est souvent au moins aussi important que la réussite de l’entreprise!
Typiquement, ce sera le cas à chaque fois où, dans l’intérêt du succès de l’entreprise, il sera nécessaire d’avoir une discussion sérieuse et difficile entre associés.
Dès le départ, ce sera par exemple pour définir le rôle et des responsabilités de chacun, ou encore pour répartir les parts de la société.
« A person’s success in life can usually be measured by the number of uncomfortable conversations he or she is willing to have », nous dit Tim Ferriss.
Mais pour éviter de froisser l’autre, la tentation sera forte d’éviter de telles discussions.
Typiquement en décidant en un clin d’oeil que les parts de la société seront distribuées à égalité entre les associés, sans prendre le temps de se poser véritablement la question de la nature et de la valeur de la contribution de chacun, et de son engagement.
Une telle décision, optimiste, « romantique » et témoignant souvent d’un côté « fusionnel » dans la relation, sera à moyen terme la meilleure façon de faire naitre un sentiment d’injustice ou de la rancoeur chez au moins l’un des associés. Une fois la « lune de miel » passée (la métaphore du couple revient très souvent pour décrire les relations entre associés), le ressentiment, l’agacement ou la colère vont petit à petit croitre jusqu’à une explosion fatale… et au nécessaire départ d’un des associés, dans le meilleur des cas.
Plus généralement, la crainte d’endommager la relation va favoriser les non-dits, la non expression et la non résolution de certaines demandes et de certains problèmes, jusqu’à ce que ceux-ci deviennent le proverbial « elephant in the room » des anglo-saxons. Il pourra s’agir des modalités de prise de certaines décisions, ou du comportement problématique d’un associé. Ou encore d’un organigramme officiel qui sera fortement en décalage avec le rôle réel de chacun tel qu’il sera vécu au quotidien.
Et la puissance de l’équipe, dans tout ça?
Par ailleurs, si vous choisissez vos associés parmi le cercle forcément restreint de vos amis ou votre famille, il est statistiquement peu probable qu’ils aient les compétences les plus complémentaires des vôtres et les plus utiles possibles à votre projet.
« Qui se ressemble s’assemble », il est aussi probable qu’ils vous ressembleront sur le plan cognitif : on a souvent les mêmes goûts que ses amis, et la même façon de penser.
Or la diversité cognitive (elle même favorisée par la diversité de genre, de culture, de diplômes, de parcours professionnels et d’origines sociales…) est un élément clé de la créativité d’une équipe est de sa capacité à résoudre des problèmes complexes.
On le voit, le confort à court terme de choisir un ami ou un membre de sa famille peut empêcher de voir les risques de stabilité et de sous-performance à plus long terme.
Comment limiter les risques?
Si vous avez déjà monté votre entreprise avec un ami ou un membre de votre famille, comment faire pour limiter les risques?
1. Rédigez un pacte d’associés qui envisage dès maintenant les principales incertitudes relationnelles et humaines, les worst case scénarios et la manière dont ils seront gérés sur le plan actionnarial s’ils surviennent : départ ou manque d’engagement de l’un des associés, séparation dans le cas d’un couple (on fait bien des contrats de mariage!).
2. Evitez la répartition du capital à égalité entre les associés, et évitez si possible de répartir le capital trop tôt. Là aussi, un pacte d’associés peut vous y aider.
3. Prenez un coach (à titre individuel ou bien pour l’équipe) qui vous aidera à préparer et mener à bien les discussions difficiles, et à gagner en maturité dans la gestion de la relation avec vos associés.
4. Faites entrer un tiers (avec qui vous avez des relations plus neutres) comme associé supplémentaire ou administrateur, qui pourra jouer un rôle d’arbitre ou de mentor, et dépassionner les débats. Pour que cela fonctionne bien, il faudra qu’il (ou elle) ait statutairement réellement du pouvoir (en termes de droits de vote ou de parts dans la société), ou une autorité reconnue par chaque associé.
(1) dans cet article, je m’appuie largement sur l’excellent ouvrage de référence de Noam Wasserman, The Founder’s Dilemmas, 2012.
Cf aussi cette conférence de N Wasserman : https://www.youtube.com/watch?v=qhmvwOevsSo&t=876s